L'ancienneté de la culture de la vigne
On a dit que notre région était venue tardivement à la culture de la vigne. Or, il n'en est rien. Ce qui forme actuellement le département du Var a toujours pratiqué cette culture depuis la plus haute antiquité et n'a jamais cessé d'en faire le principal de ses revenus à toutes les époques. Cette culture a pu être modérée par des prescriptions légales, comme au XVIIIe siècle, ou momentanément détruite comme au XIXe siècle, au moment de la catastrophe du phylloxéra, mais elle n'a jamais cessé, lorsque les circonstances ont été favorables, de prospérer et de représenter le produit le plus important du revenu des terres.
Epoque romaine
La culture de la vigne existait en Provence dès l'époque romaine, à un moment où cette culture était interdite, pour protéger le vignoble italien, en dehors de ce qui constituait la Province romaine, c'est-à-dire en dehors de ce qui forme la Provence, le Languedoc et le Dauphiné. Les auteurs anciens parlent longuement du mode de culture pratiqué dans la Gaule Narbonnaise, notamment de la taille courte qui différait de celle de l'Italie où la vigne se mariait à l'ormeau. En ce qui concerne le pays dont on a fait le département du Var, l'existence de vignobles importants et suivis ne peut faire l'objet d'aucun doute, puisque nous savons d'après ce qu'en ont dit tous les agronomes du 1er siècle, et notamment Columelle, qu'un grand bourgeois de Fréjus, Julius Groecinus, ancien procurateur des Césars, ce qui correspondait aux fonctions d'intendant général et vice-gouverneur d'une province impériale, et père d'un illustre fréjusien, le général romain Agricola avait non seulement cultivé la vigne dans ses vastes propriétés, mais encore écrit sur la "Culture de la vigne" un traité en deux livres, qui faisait autorité non seulement dans la Province, mais encore en Italie.
Moyen Age
Aucun texte ne fournit d'indication sur la période obscure des grandes invasions et du Haut Moyen âge. Il faut arriver au XIIIe siècle pour trouver quelque chose dans les transactions qui commençaient alors à se conclure entre les habitants et leurs seigneurs. A Trans, notamment, dans une transaction datée du 20 octobre 1283, il est spécifié qu'à l'époque où les vins commencent à pouvoir être transportés, le seigneur de Villeneuve dispose d'un mois pour écouler sa récolte. La vente n'est libre pour les habitants qu'à l'expiration de ce délai. Il y a dans ces stipulations l'indice d'une récolte abondante, bien supérieure à la consommation locale.
XVIe siècle
Un peu plus tard, la même situation est révélée par des documents plus précis. Les cadastres du XVIe siècle attestent que tout le monde à Trans avait des vignes, et que, proportionnellement, on en avait d'autant plus qu'on avait de plus grandes propriétés. Il y avait alors peu d'oliviers. Les larges espaces à flanc de colline sur lesquels on les voit aujourd'hui, étaient pour la plupart des bois non encore rompus. L'importance relative des différentes cultures, calculées d'après les indications tirées des cotes cadastrales afférentes à chacune des parcelles, s'étageait dans l'ordre suivant : vignes, terres à grain, prés, jardins et oliviers.
XVIIIe siècle
La persistance de la culture de la vigne sur une grande échelle se constitue dans les siècles suivants. Au XVIIIe siècle, elle acquiert une importance telle qu'elle menace de réduire la récolte des grains au-dessous de ce qui est nécessaire pour l'alimentation du pays. Une mesure draconienne intervient alors. Sous le règne de Louis XV, un arrêt du conseil en date du 5 juin 1731, défend "de faire de nouvelles plantations de vignes dans l'étendue des Provinces et Généralités du Royaume et de rétablir, sans la permission expresse de sa Majesté, celles qui auront été deux ans sans être cultivées, à peine contre chaque contrevenant, de 3.000 livres d'amende et sous plus grande peine s'il y échoit ; laquelle permission ne sera accordée qu'au préalable le terrain n'ait été vu par les ordres de l'Intendant, pour connaître s'il n'est pas plutôt propre à une autre culture qu'à être planté en vignes". A la suite de ces prescriptions, la culture diminue dans la plaine, mais elle gagne dans les collines. Il y a cependant une diminution bien que nous trouvions, dans les archives notariales entre 1730 et 1789, des actes ayant trait à des transports de vin importants.
XIXe siècle
Au XIXe siècle, les plantations commencent à redescendre dans la plaine. Au moment où le phylloxéra vient détruire le vignoble, entre 1872 et 1880, l'importance qu'avait alors la culture de la vigne peut se mesurer par la diminution importante de population due au départ des journaliers agricoles italiens, que la ruine de la culture a provoqué. La population qui, défalcation faite de l'arrondissement de Grasse, était en 1851 de 289.967 habitants, n'était plus en effet en 1886 que de 288.336 habitants. Elle peut se déduire également de la diminution de population qui a suivi la reconstitution du vignoble. Entre 1886 et 1911, le nombre des habitants a augmenté de 42.419 unités. Nous nous sommes ainsi trouvés replacés là où devait nous amener l'accroissement régulier du nombre des habitants, si la catastrophe due au phylloxéra ne s'était pas produite.
Conclusion
Ces constations, tirées de documents qui n'ont pas été faits pour les besoins de la cause, montrent que la Provence et le Var n'ont jamais cessé de posséder des vignobles étendus et de considérer le vin comme la plus importante de leurs récoltes.
Source : D'après un article paru dans "Les archives de Trans en Provence" N°28 - mars 1933 - Jean Barles.