La Nartuby et les canaux d'arrosage
Le site de Trans
Tous les plans anciens de Trans mentionnent la trace de canaux, moulins, filatures ou autres bâtiments. J'ai retrouvé aux Archives Départementales à Draguignan, la mention d'un moulin à farine, à l'emplacement actuel de l'Hôtel de ville, datant de l'an 1366. Des "machines hydrauliques" ont pu se développer grâce à la rivière, la Nartuby qui baigne le territoire de la commune, et dont le cours d'eau a façonné un grand nombre de sites favorables à l'édification de moulins. Outre les ouvrages construits sur la rivière elle-même, la configuration des lieux a permis le développement de canaux d'irrigation sur les deux rives de la Nartuby qui ont servi à la fois à arroser quelques 80 hectares de terrains : maraîchages, jardins, prairies mais aussi avant de retourner à la rivière, à alimenter un grand nombre de moulins. On peut compter au moins entre 20 et 25 moulins ayant existé ensemble ou successivement. Ces machines hydrauliques dont l'architecture était très souvent diverse et adaptée aux caractéristiques des sites, consistaient à utiliser l'énergie de l'eau en mouvement pour actionner une roue et la transformer en énergie mécanique de rotation. Cette rotation a été diversement utilisée à mesure des progrès techniques : moulins à farine, filatures, bouchonneries, etc... entraînement d'une dynamo ou d'un alternateur pour produire du courant électrique, lequel actionne sur place ou à distance des moteurs qui font tourner les machines : scieries, machines à bois, etc... Entraînement des moulins à huile enfin, l'olivier était en effet avec la vigne, la culture dominante sur le territoire de Trans et de ses environs.
Les canaux d'irrigation
La Nartuby est une rivière dont le cours d'eau a un régime méditerranéen c'est-à-dire, dont le débit moyen annuel est assez conséquent au droit du village, mais avec les fluctuations climatiques très importantes l'on constate très souvent que la rivière est à sec en amont entre Trans et Draguignan.
Carte postale ancienne représentant la source de la Foux
Heureusement, à l'entrée du village, un affluent rive gauche, la Foux fournit un débit sensiblement constant toute l'année, cela permet d'alimenter les canaux d'arrosage au printemps et en été lorsque la végétation en a besoin. Au fil du temps deux canaux ont été édifiés sur chacune des deux rives de la Nartuby : 1) le canal des Vignarets (Note de Nadine : anciennement Vignaresq dans les archives) situé en rive gauche dans une zone autrefois complantée en vignes (d'où le nom de Vignarés en provençal) la prise d'eau se trouve sur la Foux immédiatement en amont du confluent avec la Nartuby, 2) le canal du Plan situé en rive droite dans une zone de plaine (d'où son nom) la prise d'eau est située immédiatement en aval du confluent avec la Foux sur la Nartuby. Elle fait l'objet d'un barrage souvent dénommé "L'Ecluse". L'utilisation de l'eau par l'intermédiaire de ces deux canaux s'effectue dans le cadre d'une Association Syndicale Forcée (A.S.F.) créée par la Préfecture du Var par arrêté du 21 mars 1855 prolongé par un décret du 18 octobre 1933. Les droits d'eau font mention de 225 litres/seconde sur le canal des Vignarets et de 270 litres/seconde sur le canal du Plan.
Le développement
Depuis les temps anciens jusqu'au milieu du XXe siècle, ces canaux constituent une des principales richesses de la commune. Grâce en particulier à leurs utilisations à but énergétique qui ont permis de développer de nombreuses petites industries : filatures, bouchonneries, savonneries, scieries, caisseries, conserveries, centrales hydroélectriques, etc... (Note de Nadine : A souligner que notre village fut l'un des premiers de la région à être électrifié. De ce fait, Trans bénéficiait d'une intense activité usinière et industrielle. A l'heure de l'embauche comme à celle de la pause de la mi-journée, les sirènes multi-sonores de chaque établissement précédaient l'activité brusquement grouillante des rues principales : la rue Nationale et l'avenue de la Gare.
Sortie des ouvrières de la filature de soie Garnier
On passait rapidement dans les épiceries ou les commerces divers avant de regagner le domicile pour se restaurer et reprendre le travail au plus tôt. Les enfants profitaient de l'occupation des adultes pour jouer un moment à l'abri des regards des parents dans les petites rues environnantes. L'instituteur quittait un moment l'école pour rejoindre l'Hôtel de ville et assurer sa deuxième fonction au secrétariat de la Mairie. Les industries du village utilisaient aussi de la main d'oeuvre des communes des alentours : Arcois, Mottois et Dracénois venaient gagner leur vie à Trans. La première moitié du XXe siècle fut l'apogée de la prospérité industrielle de notre village et nous allons voir pourquoi elle s'est brutalement interrompue.
Le déclin industriel
Malheureusement cette activité s'est réduite peu à peu. En effet, l'ensemble de ces usines a été victime des progrès scientifiques et techniques. Il semblerait que pour l'essentiel deux évènements ont précipité le déclin de ces installations industrielles : la Deuxième Guerre Mondiale et la découverte du nylon. En effet, la découverte du nylon a supplanté le fil de soie et cela a porté un coup fatal à l'activité des filatures. D'autre part, la Deuxième Guerre Mondiale avait elle-même ralenti quelque peu l'activité durant cinq ans, et en 1945, avec le redémarrage économique et la forte demande qu'il a engendré, les techniques de fabrication ont été bouleversées et ont, peu à peu, condamné les petites unités qui s'étaient adaptées à la topographie des lieux. Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, petit à petit les usines ont fermé, les moulins se sont arrêtés, la presque totalité des activités industrielles a disparu. Aujourd'hui, il ne reste au droit du village que deux centrales hydroélectriques encore en fonctionnement qui livrent leur énergie sur le réseau d'Electricté de France et font partie de l'A.S.F.
L'irrigation : valeur constante des canaux
Dans le même temps, les canaux ont continué à assurer la fonction d'irrigation des cultures vivrières de la presque totalité de la population du village. Des maraîchers se sont installés sur le périmètre desservi par les canaux ainsi que sur les différentes sources du bassin versant de la Nartuby. Elles font aussi partie de l'A.S.F de Trans. Les canaux alimentent aussi des arbres fruitiers, des prairies ainsi que des pelouses ou des jardins particuliers dans le centre ancien du village. Une remarque peut être faite sur la qualité des eaux : elles parviennent essentiellement de la Foux qui est une source qui émerge près du confluent avec la Nartuby. Les eaux traversent longuement un massif constitué de roches salines (quelques vestiges de carrières de gypse en attestent). L'analyse de l'eau d'arrosage montre qu'elle est fortement minéralisée et salinisée. A titre d'anecdote, on a trouvé dans les archives la mention d'une demande de propriétaires Transians à la fin du XIXe siècle : "La Préfecture du Var a reçu de la part des propriétaires Transians une demande d'exonération des taxes du fait que l'eau du canal d'arrosage, extrêmement salée, ne permet pas la culture des haricots". Cela n'est pas surprenant car on relève en moyenne les teneurs suivantes : Chlorures : 1000 à 1250 mg/litre, Sodium : 1200 à 1400 mg/litre. Ajouté à cela qu'il s'agit d'une eau particulièrement dure : de 55 à 65 degrés. Cependant, l'arrosage s'effectue dans de bonnes conditions.
Les canaux au service de la commune
Les installations du canal ont une très grande importance pour la commune. Outre l'alimentation du domaine foncier municipal proprement dit : jardins, bâtiments, espaces verts, etc... les eaux du canal alimentent les trois belles fontaines du village : celle de la place de l'Eglise, de la place de l'Hôtel de ville, du Pont-Vieux (face à l'actuel bâtiment de la Mairie).
La fontaine de la place de l'Hôtel de ville
La fontaine de la place de l'Eglise
L'une d'elle, celle de la place de l'Eglise figure à l'Inventaire des Monuments historiques par arrêté en date du 24 février 1926. De même, les eaux du canal empruntent tout un dédale de canalisations très anciennes et fort judicieusement placées pour effectuer l'arrosage des rues de la partie urbaine du village. De tous temps, les villageois ont apprécié le détournement de l'eau devant leur logement pour le nettoyage des rues et leur rafraîchissement personnel durant les chaudes journées d'été (Note de Nadine : comme plus aucun employé municipal à la voirie ne sait le faire car il n'y a plus hélas de "vrais" Transians parmi eux et qu'ils ne savent même pas où il faut mettre la martelière pour dériver l'eau du canal, cet usage ne se pratique plus. Or, je me souviens de l'heureux temps où il n'y avait que trois ou quatre employés municipaux qui faisaient tout : nettoyer les rues, entretenir les chemins, curer les fontaines, couper l'herbe, ramasser les poubelles, enterrer les morts, etc... Par exemple, Joseph D'Agostino, Paul Félix ou encore Alexandre Concas le faisaient, l'eau courait toute seule dans les ruisseaux du village et armés d'un balai les employés ou les ménagères nettoyaient, les gamins en profitaient pour patauger dans l'eau.). Enfin, dans le partie centrale et urbaine du village, les installations du canal servent pour une bonne part de collecteur des eaux pluviales. La commune fait partie également de l'A.S.F. de Trans.
Les droits d'eau, valeur d'avenir
Actuellement, plus de 300 propriétaires bénéficient d'un droit d'eau d'environ 500 litres/seconde réparti sur les deux canaux, c'est une très grande valeur, c'est aussi une très grande richesse quand on connaît le prix de l'eau, mais plus encore lorsqu'on songe à la part sans cesse croissante qu'elle occupe dans l'évaluation des ressources stratégiques d'une population. La loi rappelle que "l'usage de l'eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis". A l'heure actuelle, les canaux confèrent aux terrains qu'ils arrosent une incontestable plus value foncière. Il ne serait pas étonnant que celle-ci soit, tout au moins en grande partie, à l'origine de la grande expansion démographique que Trans en Provence a connu au cours de ces trois dernières décennies.
Auteur : Max Lambert. Texte arrangé et enrichi par moi-même.
A gauche, l'usine électrique construite par l'industriel Honoré Fournial et au premier plan les dérivations qui amenaient l'eau aux différentes industries.