Construction des portes de la ville (1580)
Pour mieux comprendre le texte qui suit, je vous donne un résumé de la situation en Provence après l'épisode des guerres de Religion.
Après plus de dix années de guerre entre catholiques et protestants de Provence, une lassitude profonde conduit un groupe de communes importantes (Draguignan, Fréjus, Brignoles, Lorgues, Grasse, Saint-Paul) à refuser de contribuer financièrement et matériellement à l'effort de guerre exigé par le chef du parti catholique, Jean de Pontevès, Comte de Carcès, lieutenant général de la province. Pour se défendre contre l'armée de Carcès, les communes s'allient aux seigneurs huguenots (1576) et deviennent le parti des "Razats", opposé au parti des "Carcistes". Les Razats finirent par avoir le dessus. En 1579, Catherine de Médicis vint à Aix pour apaiser ces troubles.
Lei razcassetos
Assistant à la Fête-Dieu et en particulier aux jeux des razcassetos, elle demanda des explications. Un plaisant lui répondit que c'était les razats qui peignaient un carciste. C'est le jeu des lépreux de l'Évangile. Ils sont quatre, mais peuvent être plus nombreux. Trois sont comme tondus, le quatrième a une perruque et le jeu consiste à la lui peigner et brosser, tandis qu'il saute de tous côtés pour échapper aux autres.
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Au mois de novembre 1579, le pays se remettait à peine des terribles épreuves qu'il venait de traverser (guerres de Religion). L'absence totale de délibérations du Conseil de la Communauté entre le 19 mai - date de l'élection du nouvel état par devant Maître Antoine Garrus Procureur au siège de Draguignan, commissaire délégué - et le 2 août date à laquelle reprend le cours régulier des assemblées municipales, semble bien indiquer que trois mois après la prise du château de Trans, la vie du pays recommençait à peine. La majeure partie de la population avait fui lors de l'occupation carciste (gens du parti catholique), elle dut retrouver le village ruiné et beaucoup de maisons détruites. Bien qu'il ne soit pas possible de déterminer avec précision l'importance des destructions, on peut cependant en juger par les dégradations subies par les édifices communaux. La maison de Saint Esprit (actuellement n° 5 de la rue de La Motte) ne recommença à abriter les assemblées qu'à partir de septembre : auparavant "elle se trouve déroutée et inhabitable". Des trois moulins à blé l'un était "rompu" et à la fin de 1579, les dépenses durent être engagées pour le réparer. Ensuite, dès le 1er septembre, le Conseil députait les consuls et le greffier à Draguignan, "pour avoir avis de faire faire estimer le dommage qui a été fait à Trans".
Cependant, un autre souci allait s'ajouter à celui de la restauration ; la peste ! L'effrayante maladie ; qui existait alors presque à l'état endémique, n'avait plus fait d'apparition dans le pays depuis mai 1577 et encore cette fois là l'alerte avait été de courte durée. C'est dans le courant de novembre que les consuls de Draguignan avisèrent ceux de Trans d'avoir "à si barricar". Aux époques de peste, le premier soin des municipalités était en effet d'interdire l'accès des villes. Comme le pays n'avait ni reparts, ni portes, des barricades étaient dressées aux issues du village. La garde s'y prenait à "capage", c'est-à-dire que chaque habitant la prenait à tour de rôle à peine d'amendes pour les défaillants. L'accès était interdit à quiconque n'était pas porteur d'une "boletine" (laissez-passer) délivrée par la municipalité. Les voyageurs suivaient un chemin que l'on ouvrait dans le Claus du Seigneur (Nota : la propriété du Claus est devenue plus tard vers 1760, le parc du nouveau château). Sitôt la nouvelle arrivée, les consuls font élever des barricades - à des endroits qu'il est difficile de préciser, par exemple : "as glaudes", "auprès la maison de Jean Pierre Nas", "à la grande carrière", "auprès la rivière", vraissemblablement aux emplacements où seront les portes de Saint Roch et de Notre Dame, "au Ponçonnet" (rue des Baumes) et "près de la rivière entre la place et la route". On commet un portanier (portier) : Jean Rey et le conseil achète du papier pour la fabrication des boletines. Le 29 décembre, le conseil prend la mesure habituelle "sera garda a capage" chacun prendra son jour, à peine d'un florin d'amende. En même temps, la "peine du conseil" est augmentée : tout conseiller qui n'assistera pas aux réunions encourra une amende de 2 sous. Le même jour Jehan Jauffret est nommé recteur de l'hospital. Le nouveau conseil, élu le 26 décembre et dont Guillen Goiran et Jaume Orgias étaient les consuls, inaugurait son administration par des mesures énergiques qui dénotent l'importance du péril. Le 3 janvier 1580, le conseil prend une détermination de plus grande envergure : il décide d'édifier des portes aux issues du village ; ce travail se fera à capage que présideront les consuls nouveaux. On traite avec un murailler qui dirigera les travaux : Maître Claude Cestaron. Toutes les dispositions sont prises et le 3 mars une ordonnance réitère les termes de celle du 3 janvier en précisant : les hommes seront tenus de travailler à la construction, les femmes aussi et feront ce qu'elles pourront. A tout défaillant, 6 sous d'amende et location d'un homme à ses dépens. Le travail fut exécuté dans le courant des mois de mars et avril, les comptes trésoraires abondent en achat et transport de tufs, pierres, chaux et sable, paiement au murailler, au "maçon de Fayence", au fustier (menuisier) et au fabre (forgeron), les dépenses s'élevèrent à 130 florins. Cependant, à la fin du mois de mai, alors que les portes sont achevées, la maladie semble augmenter d'intensité : le 29 mai, on décide de faire garder le portail du Pont (qui deviendra plus tard la porte de Saint Roch), le 2 juin, on ordonne un capage pour la garde des portails "pour la sancté" : l'amende est de 1 florin. c'est le notaire et greffier Maître Francès Augier qui est désigné comme portier : il assurera le service en juin et en juillet. Après lui, ce sera Pierre André Nas que commet une ordonnance du 11 septembre. "Ses salaires seront de 6 florins et demi et il sera tenu de demeurer aux portails tout le jour jusqu'à huict heures du soir. Il ne pourra se faire remplacer sinon par une personne capable de garder et de lire les boletines. Six sous d'amende seront prévus pour chaque infraction". Pierre André Nas restera en fonction jusqu'à la fin du mois de janvier 1581. A cette date, l'épidémie avait cessé et le calme était revenu, d'ailleurs peu de temps après et d'une façon presque continuelle jusqu'en 1587, la peste recommençait ses ravages. Les portes de Trans devaient subsister jusqu'à la fin du XVIIIème siècle : à ce moment elles étaient tombées en ruines et gênaient la circulation si bien que la communauté les fit supprimer au cours des années 1775 et 1776.
Source : Archives municipales de Trans. Auteur : Guillaume Barles. Texte complété de mes propres recherches.
Compléments
Carcistes : nom d'un parti qui, à partir de 1578, désole la Provence lors des guerres de religion ; il se compose de catholiques intransigeants, partisans du comte de Carcès, grand sénéchal de Provence. Ce parti s’oppose aux Razats partisans de la tolérance religieuse. Ces deux partis ravagent la Provence, brûlent nombre de communes et saccagent les campagnes. Le parlement condamne la conduite des Carcistes, et permet de courir sur eux et de les tailler en pièces. Ses partisans sévissent jusqu’en 1595, date à laquelle ils ravagent la Crau arlésienne, emmenant ou détruisant tout le bétail (Source Wipidédia)
Razats : Lors de la Ligue, les troupes catholiques du comte de Carcès dévastèrent tout sur leur passage. On donna le nom de razats ou rasés aux malheureux qui avaient tout perdu et par extension à ceux qui, protestants, se soulevèrent pour leur porter secours contre les catholiques.