La première horloge de Trans
Les habitants du lieu de Trans voyant leur chef-lieu de viguerie, Draguignan, doté, depuis longtemps d'une horloge, voulurent, à leur tour, en avoir une. Pour une localité industrielle comme l'était déjà Trans en 1538, ce n'était pas seulement du luxe, c'était une nécessité. Aussi, en sa séance de janvier de cette année là, le conseil nomme deux délégués : un conseiller et un lieutenant de juge, pour "cueilly tout ce que porran trobar per fayre ung relloge" (pour recueillir tout ce qu'ils pourront trouver pour faire une horloge). Qu'est-ce qu'il pouvait bien chercher et recueillir dans le vieux "massaquin" (magasin) de la communauté ? Ce garde-meuble était-il riche en ferrailles ? Et voulait-on les donner en échange de l'horloge tant convoitée ? Les archives n'en disent rien, mais il est à croire que ni le fer, ni l'argent n'abondaient dans les coffres communaux, puisqu'il n'est plus question d'horloge dans les délibérations communales jusqu'en 1543. En cette année, le conseil délibère de nouveau de faire fabriquer "ung reloge" et, comme on la désire toute pareille à celle de Draguignan, dans la même séance, un délégué est nommé à qui l'on vote quatre gros (monnaie de l'époque) pour ses dépenses "per anar mesurar lou reloge de Draguignan" (pour aller mesurer l'horloge de Draguignan). Il paraît que ces Messieurs du conseil étaient pressés d'entendre sonner les heures du haut de la tour de leur église ; car immédiatement après ils décident de prendre la "campana devers Saint-Esprit et la mettre au reloge pour le service de la villo" (Note de Nadine : ils décident de prendre la cloche qui était à Saint-Esprit : la maison de Saint-Esprit était la maison de ville ou maison commune et de la mettre à l'horloge pour le service de la ville), à condition de fondre "ung altre campana" (une autre cloche) de même poids et dimensions. Dans une séance postérieure, le conseil, craignant, sans doute, de ne pas trouver à Draguignan ce qui était nécessaire, envoie un de ses membres à Aix, "per ana compra de matieres per fare la campana, so es jusqu'à la somme de huit quintaulx" (pour aller acheter des matériaux pour faire la cloche et ce jusqu'à la somme de huit quintaux), et vote 140 florins 4 gros pour la facture de "l'oreloge" (l'horloge) et une taille de 100 florins pour payer le "methal" de la cloche. Malgré les 100 florins votés, on n'eut pas assez de matière pour fondre une cloche pareille à celle de Saint-Esprit. Aussi le conseil ordonne que "le methal de la campana sio creyssut... de ce que sera necessari" (le métal de la cloche soit accru... de ce qui sera nécessaire). Cette fois, il ne fut pas besoin de députer jusqu'à Aix pour cet accroissement, ce fut Brignoles qui eut l'honneur de la fournir, et le trésorier dut compter 16 florins "a un merchant" (à un marchand) de cette ville pour solde du "methal" (métal) de la cloche. Enfin, l'horloge fut placée sur la tour de l'église ; on avait acheté une corde pour les poids, du prix de 12 sols. Vous croyez qu'on va confier le soin de la règler, soit à un horloger, soit, au moins, comme on fait aujourd'hui dans la plupart de nos villages, ou il serait trop onéreux d'en appeler un de la ville, ou bien au "fabre" (forgeron) ou au serrurier ? Détrompez-vous ; c'est à "dono Honnorado Piquesse" (Note de Nadine : dame Honnorade Piquesse, nous avons là l'exemple d'un nom de famille féminisé comme je vous l'ai expliqué dans mon article sur l'étude de noms de famille de la Garde-Freinet dans mon autre blog ; Piquesse = Pic), à laquelle on alloue 6 florins par an, "per ses gages dau reloge" (pour ses gages de l'horloge). En 1565, Dono Piquesse est remplacée par un "gouverneur" de l'horloge et le conseil lui vote 12 florins "per lous gages de governa lou reloge" (pour les gages de s'occuper de l'horloge). C'est toujours 12 florins que vote le conseil de la communauté, en 1570, "per governa et condurre lou relloge" (pour gouverner et conduire l'horloge) ; en 1538, pour "le governement du reloge" (pour le gouvernement de l'horloge). Mais tous ces gouverneurs, conducteurs, pas plus que dono Piquesse ne parvenait à la conduire et à la gouverner d'une manière régulière, on pouvait dire à la lettre qu'elle marchait comme "les affayres de la vilho" (les affaires de la ville) qui ruinée par les Impériaux en 1530, saccagée par les assiégeants du château en 1579, était encore menacée par les Piémontais en 1635. Le conseil décida, à cette date, de charger le prieur de la surveillance et de la direction de l'horloge. Marcha-t-elle mieux ? La question reste posée...
Auteur : Marius Sivan - Revue de Cannes et du littoral
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Explication du mot "viguerie" : Juridiction administrative médiévale apparue à l'époque carolingienne. Cependant, avec le déclin du pouvoir central, la viguerie est devenue au fil du temps la juridiction la plus petite, s'occupant des affaires courantes. Elle est administrée par un viguier. Les vigueries ont disparu en grande majorité en 1749 suite à un édit supprimant les petites juridictions, à l'exception de la Provence où elles ont survécu jusqu'à la Révolution.
Le clocher et son campanile (Photo Nadine)